— Je ne demande pas mieux que de manger, dit un pauvre diable, bien que la vie ne me soit pas douce, mais encore faut-il que j’aie quelque chose à me mettre sous la dent. Tous les chiens mangent et vivent. Ceux qui n’ont pas la chance d’être servis par un maître se nourrissent tout de même d’excellentes ordures qui suffisent à leur vie de chiens. Moi, je ne peux pas. J’ai le malheur d’appartenir à la race humaine et d’être avantagé d’un front sublime qui doit continuellement fixer les astres. Je manque de flair et la charogne me reste sur l’estomac…
J’ai entendu dire qu’autrefois il y avait une Viande pour les pauvres et que les mourants de faim avaient la ressource de manger Dieu pour vivre éternellement. Dans les très vieux temps, on se traînait, en pleurant les larmes du Paradis, d’une chapelle de confesseur à une crypte de martyr et d’un sanctuaire miraculeux à une basilique pleine de gloire, sur des routes encombrées de pèlerins qui mendiaient le Corps du Sauveur. Cet aliment unique suffisait à quelques-uns qui étaient des Bienheureux dont la langueur avait le pouvoir de guérir toutes les langueurs et, quelquefois, de ressusciter les morts. Tout cela est loin, terriblement loin…
Aujourd’hui, c’est le Bourgeois qui a remplacé Jésus, et les truies même reculeraient devant son corps !